Quelqu’un m’a dit un jour qu’avant d’aspirer à protéger les autres, il faut savoir se protéger soi-même. Depuis, c'est devenu comme une philosophie de vie, un mantra qui me guide dans toutes les épreuves que j'ai à affronter. Même enfant je suivais ce principe sans le savoir grâce à l'éducation dispensée par mes parents, Al et Emily Perkins. Vous connaissez la famille Addams ? Bien sûr que oui, tout le monde connaît la famille Addams ! Eh bien ma famille est un peu pareille. Pas parce qu'on collectionne les armes pour nous en servir régulièrement... Enfin si, on fait ça aussi, mais surtout parce que comme Mercredi Addams j'ai été élevée dans un monde différent. Un monde où les monstres existent vraiment, où les Vampires tuent les Loups-Garous, où les Sorciers pactisent avec les Maï et où les Chasseurs tuent tout ce petit monde.
Les Chasseurs, c'est nous. Enfin, pas que nous, mais ma famille appartient à l'une de leurs confréries. Mon père, ma mère et moi, Ashley Perkins – mais si vous m'appelez Ashley je vous frapperai en plein visage. Appelez-moi Ash ! Bref vous l'aurez compris, chez nous les créatures sont des proies. C'est implanté dans mon cerveau comme deux et deux font quatre. Sauf que les choses sont... Comment dire... Légèrement plus compliquées. Pour mieux comprendre, il nous faut commencer depuis le début.
Mon père a été initié à ce monde alors qu'il n'avait que vingt ans et pu ainsi, cinq ans plus tard, sauver ma mère des griffes d'un Loup-Garou qui l'avait prise en chasse. Mon père s'employa activement à la former au combat et deux ans plus tard ils se marièrent. Ma mère cependant refusait de chasser, elle ne se servait de ses leçons que pour se défendre et, lorsque je vins au monde, me défendre également. Mis à part cela et contrairement à ce que l'on pourrait croire, j'ai eu une enfance plutôt normale. Je suis allée à l'école de mon quartier dans Brooklyn, j'ai joué au chien de traîneau avec Twinkie mon chien – que j'ai appelé ainsi car ce fut le premier mot que j'ai su dire et que c'est mon gâteau préféré – et j'ai eu des amis d'enfance que j'aimais terroriser avec des histoires de fantômes. La seule petite surprise dans mon banal emploi du temps de fillette était l'entraînement que me dispensaient mes parents, mon père au combat et ma mère au tir à l'arc.
Ma vie se déroula ainsi jusqu'à l’Été avant ma rentrée au lycée. J'avais quatorze ans et mes amis et moi étions partis passer l'après-midi à High View Park pour profiter du beau temps. Alors que nous rentrions chez nous, un par un les jeunes du quartier quittaient le groupe jusqu'à ce que je me retrouve seule. J'en avais l'habitude, mes parents semblaient avoir choisi de vivre dans la dernière maison tout au bout de la plus longue rue du monde, mais cela ne me dérangeait pas. Seulement, cette fois-ci quelque chose était différent. Je me sentais comme observée, aussi je m'étais empressée de rentrer pensant ainsi me trouver en sécurité.
Malheureusement, ce ne fut pas le cas. En arrivant, je vis ma mère qui m'apprit que mon père était chez mon parrain, son coéquipier dans la police et également Chasseur, pour une chasse importante. J'avais expliqué à ma mère le malaise que j'avais ressenti en revenant cependant que la nuit tombait petit à petit. J'avais à peine terminé qu'un hurlement se fit entendre. Un hurlement inhumain, mais pas animal pour autant. Tout se passa si rapidement que j'ai encore du mal aujourd'hui à distinguer les formes et les couleurs dans mes souvenirs. Tout ce que je sais, c'est que ma mère m'avait ordonné d'aller dans la cachette et de là j'avais pu l'observer se battre pour sa vie et la mienne. Mais une seule humaine contre un groupe de créatures que j'avais reconnues comme étant des Loups-Garous ne faisait pas le poids.
Alors que les monstres avaient finalement eu le dessus sur ma mère, Quelque chose d'extraordinaire et d'effrayant se produit, et cela allait changer ma vie à tout jamais. La peur, la haine, le désespoir, toutes les émotions qui tournaient en moi semblèrent sortir de mon corps en une explosion invisible alors qu'au même moment les créatures furent expulsées contre le mur d'en face loin de ma mère qui, elle, me regardait avec de grands yeux écarquillés. J'entendis sans les comprendre des voix masculines et bientôt mon parrain me bloqua la vue de mes parents réunis pour s'assurer que je n'avais rien. J'étais vidée, secouée, et par-dessus tout terrorisée que ma mère raconte ce qu'il venait de se passer à mon père et qu'ils décident que j'étais un monstre à mon tour. Je ne dormis pas cette nuit-là, et le lendemain, ma mère vint m'annoncer que je devais quitter la maison.
Elle m'expliqua qu'elle savait que cela finirait bien par arriver, même si elle commençait à croire que j'avais peut-être, par miracle, été épargnée. Elle me raconta tout : sa famille de sorciers, comment elle les avait quittés pour vivre une vie loin de tout cela, comment ce monde l'avait finalement rattrapée la nuit où elle avait rencontré mon père. Je comprenais enfin pourquoi elle n'avait jamais voulu aller chasser pour de vrai avec mon père : si elle avait définitivement renoncé à la magie, ce n'était pas pour autant qu'elle allait risquer de passer du côté de la magie noire en tuant, même des créatures du mal. Mon père ignorait tout de cela, ce secret nous étions seules à le partager, mais il avait accepté de me laisser partir pour ma sécurité.
Quelques jours plus tard, j'arrivais dans le Kentucky, berceau de la famille Pierce dont été issue ma mère. Son frère, Andrew, m'accueillit dans sa maison et durant les quatre années qui suivirent, s'employa à m'enseigner les rudiments de la sorcellerie aux côtés de sa femme Mary et de son fils aîné Ethan cependant que mon autre cousin Peter et moi-même tentions d'en retenir au moins la moitié. Je ne voulais pas devenir une Sorcière et je pouvais plus devenir une Chasseuse, mais je devais tout de même suivre leurs enseignements afin de dissimuler efficacement mes pouvoirs une fois rentrée chez moi. Enfin vint la nuit de mes dix-huit ans, et lorsque je réalisai que mes yeux s'étaient parés d'une belle couleur verte je fus soulagée. La seule ombre au tableau était que j'appartenais à la branche des Elémentaristes, mon élément de prédilection étant l'eau, et que de ce fait j'avais hérité des pouvoirs les plus difficiles à dissimuler.
Une fois le lycée terminé, je fus finalement en mesure de retourner à New York où mon père avait intégré une organisation de Chasseurs appelée l'Oracculum et était le mentor d'un jeune Chasseur que je rencontrai quelques jours après mon retour. J'étais seule à la maison un soir alors que ma mère était toujours chez une voisine et que mon père était parti chasser. Je regardai tranquillement la télévision lorsque j'entendis du bruit dans la cuisine. J'étais peut-être rouillée en matière de combat, mais il était hors de question que je me laisse surprendre comme la dernière fois aussi j'avais décidé d'aller voir. Je trouvai ainsi un jeune homme devant mon frigo grand ouvert en pleine réflexion. Je ne lui laissai pas le temps de se retourner et me mis à les frapper. Malheureusement il prit rapidement le dessus et me coinça contre l'évier.
Mais alors que j'étais sur le point d'user de mes pouvoirs, mon père entra, distrayant mon adversaire et me permettant ainsi de lui mettre un coup de genou là où ça fait bien mal. Manque de bol, c'est sur moi que mon père déversa sa colère, en me demandant ce qui m'avait pris d'attaquer son protégé du nom de Kyle Gordon, tandis que je bredouillais que je voulais seulement protéger la maison. Je ne savais plus où me mettre, surtout quand le jeune homme en question tenta de plaider ma cause tout en essayant de ne pas trop marcher. Je remarquai alors les traits de son visage, son regard, la forme de ses lèvres... Un béguin de collégienne me fit battre le cœur, cela ne m'empêcha pourtant pas de relever ses dernières paroles avant son départ:
''Mais avant d'aspirer à protéger les autres, même une maison vide, il faut savoir se protéger soi-même.''Après cet incident, j'aurais aimé prouver à cet arrogant beau gosse aux yeux magnifiques et au sourire ravageur que j'étais parfaitement capable de me protéger toute seule, mais ma nature de Sorcière m'avait poussée à renoncer définitivement à la chasse. Si ma mère avait peur de chasser c'était pour une bonne raison. Avoir été initiée par des Sorciers m'avait permis de comprendre la vraie différence entre les mages blancs et les mages noirs. Celle qui vous marquait au fer rouge au plus profond de votre être et qui changeait votre vie en une seule seconde. Si appartenir à la branche blanche de la magie n'était pas une mauvaise chose, appartenir à la branche noire vous pourrissait le cœur et l'âme sans que vous ne puissiez rien y faire. Mon oncle avait pris soin de me l'expliquer avant mon départ, tout comme il m'avait appris qu'en tant qu'Elémentariste j'étais plus disposée à passer dans l'autre camp à la moindre erreur.
Alors je repris une vie tout ce qu'il y avait de plus banal. Mes résultats au lycée m'avaient permise d'entrer à Columbia – décidément ils acceptent n'importe qui de nos jours – et comme vivre chez mes parents n'étaient plus aussi simple qu'autrefois, j'ai emménagé sur le campus dans la résidence du département des Arts et des Science où j'étudiais. Je rencontrai cette année-là plusieurs étudiants dont je devins très proches, notamment Meri Selvig ma tutrice et amie et Daniel Williams mon petit ami. Il n'avait rien d'un Kyle Gordon, mais son côté intello un peu gauche m'avait faite craquer. Ma première année se passa paisiblement, mais comme toujours, les ténèbres me rattrapèrent. Alors que le premier semestre de ma deuxième année s'achevait, mes amis et moi avions décidé de partir camper quelques jours à l'extérieur de la ville. J'étais contre l'idée mais finalement, malheureusement, je m'étais laissée convaincre.
L'endroit était magnifique. Trop beau peut-être. A la tombée de la nuit, nous avions tous fini de monter le campement et étions en train de nous atteler à cuisiner en attendant des nouvelles de Meri lorsque soudain je l'entendis. Ce cri inhumain qui hantait encore parfois mes cauchemars. L'attaque fut rapide, j'avais à peine eu le temps de me jeter sur Daniel pour le mettre à terre qu'un Loup-Garou refermait déjà sa gueule là où sa gorge s'était trouvée l'instant d'avant. Nous avons trouvé refuge au sommet d'un arbre non loin du camp mais nous étions les seuls. Ce fut un carnage, pendant de longues minutes nous avons entendu nos amis hurler de terreur puis gémir à l'agonie sans rien pouvoir faire. Puis vint le silence.
Daniel ne se remit jamais de cette nuit-là. Ce qu'il avait vu l'avait changé et il vivait depuis en institut spécialisé. Je ne suis jamais retournée à Columbia après ça. Tous nos amis avaient été tués de sang froid par ce que la police – avec l'aide de mon parrain – avait considéré comme des bêtes sauvages. Seule Meri, de part son absence, avait survécu à l'attaque. Elle essaya quelque temps de reprendre contact avec moi mais j'ignorai chacune de ses tentatives. Je me sentais fautive, je savais que j'aurais dû pouvoir les protéger tous. C'était pour cela que j'étais faite et non pas pour me cacher toute ma vie de ces Chasseurs que je voulais rejoindre. Les paroles de Kyle tournaient dans mon esprit jour et nuit, encore et encore et encore ; ''Avant d'aspirer à protéger les autres, il faut savoir se protéger soi-même''... Je n'avais pas su protéger mes amis car j'avais d'abord eu peur pour moi. J'en avais honte, jamais je ne le reconnaîtrais à haute voix, mais c'était la vérité.
Je finis par rejoindre l'Oracculum à mon tour. Ma mère avait tout essayé pour m'en dissuader, mais je voulais venger mes amis et tant pis si je passais du côté noir et la magie si c'était le prix à payer pour épargner une mort atroce à d'autres innocents. C'est avec cette idée en tête que j'avais réussi à me remettre aux entraînements avec mon père qui n'avait jamais compris pourquoi j'avais renoncé à la voie qu'il avait toujours voulue pour moi. Et lorsqu'il me jugea prête, j'entrai dans l'organisation.
Ce fut plus facile que je l'avais imaginé. On aurait pu croire qu'intégrer une société secrète de Chasseurs de monstres serait difficile. J'avais tout imaginé : des combats notés à la Gladiator, des tests théoriques façon lycée voire même des chasses entre bizuts comme dans Battle Royale. Mais non, le boss m'a simplement reçue dans son bureau, plus sexy que jamais. Je reconnais que j'ai eu beaucoup de mal à me concentrer pendant mon entretien, la faute à son regard intense, son visage sérieux et ses larges épaules... Bref, j'ai vraiment cru avoir totalement planté mon entretien, pourtant je fus invitée à participer à l'entraînement de l'Oracculum sous le regard – magnifique – de Kyle Gordon.
Mes entraînements avaient dû convaincre le boss qui, peu de temps plus tard, me fit savoir que j'allais participer à une chasse à ses côtés afin qu'il puisse évaluer si oui ou non j'étais apte à entrer dans l'organisation. J'étais stressée et fébrile, une chasse toute seule en tête à tête avec l'homme de ma vie. Kyle semblait à peine faire attention à moi, mais cela ne me donnait que davantage envie de faire mes preuves. Le Loup-Garou solitaire qui était notre proie fut facile à trouver. Il avait pour habitude de s'en prendre à des couples rentrant de soirée mais il était moins malin et discret qu'il ne semblait le penser. Les deux personnes qu'il avait prises en chasse s'enfuirent à toutes jambes, et le boss me laissa le soin de transpercer d'une flèche d'argent le cœur de la bête.
Ce fut ma première chasse, et elle fut réussie. J'intégrai ainsi officiellement les rangs des Chasseurs de l'Oracculum et rencontrai Mercy, la sœur de Kyle, dans la foulée. Nous sommes devenues tout de suite amies, même si elle se moque souvent de moi au sujet de son frère. Elle sait qu'à chaque fois que je vais la voir dans son bureau c'est en grande partie pour pouvoir observer mon futur époux à travers la vitre. D'ailleurs, elle sait que la plupart des choses que je fais sont en rapport avec lui... La vie que je menais depuis mon intégration à leur rang était celle à laquelle j'étais destinée, quoi qu'en pense ma mère. J'en étais convaincue, surtout depuis le retour de cette fameuse première chasse où j'avais croisé mon regard aux pupilles vertes dans le miroir. La bonté de l'âme pouvait prendre bien des formes, même celle de tuer pour protéger des innocents.
Pourtant le travail risquait de devenir de plus en plus difficile. Surtout depuis qu'une pluie de cœurs ensanglantés s'était abattue sur la ville. La plupart d'entre nous avons tout de suite pensé qu'il s'agissait là de l’œuvre des Vampires, mais il nous fut impossible de le prouver car peu de temps après des combats de rue commencèrent un peu partout. Les choses devenaient ingérables, et comme si ce n'était pas suffisant, de jeunes Loups-Garous furent créés par dizaines sans que personne – comprendre par là leur créateur – ne leur apprenne à se contrôler. Le monde était plus sombre que jamais, mais le bon côté était que j'étais désormais capable de me protéger moi-même je pouvais donc enfin protéger les autres.