Zachariah n'a jamais quitté le Bronx. Ce quartier où se situe maintenant son trône ne l'a pas toujours vu sous son meilleur jour. Dans son plus lointain souvenir, il habitait déjà dans le vieil immeuble maintenant brûlé qui se transforma en scène de crime le jour où le loup prit conscience de son pouvoir. Le Bronx a une histoire hors du commun, alors pourquoi celle de ses habitants serait différente ? Le jeune Zach n'avait-il pas le droit de profiter d'autre chose que des rares moments où son père ne se défoulait pas sur lui ? N'était-il pas normal qu'il passe de la victime au bourreau ? Ne possédait-il pas le droit légitime de se faire justice ? L'enfant du Bronx avait hérité d'un cadeau, il n'allait pas le gâcher.
A quinze ans, Zach avait fugué pour la première fois. Il avait été tenté de le faire plus tôt mais l'idée de laisser sa mère seule avec son père le mettait hors de lui. Il savait qu'il la frappait aussi, même si elle affirmait le contraire. La lumière défaillante et son fond de teint bon marché n'étaient pas suffisants pour cacher ses bleus. Ce jour là, pourtant, il était parti. Ses absences à l'école n'étaient même plus signalées. Tout le monde avait abandonné l'idée de faire de lui un citoyen modèle. Il n'était pas le seul dans ce cas, bien entendu. Quand on fréquentait le pire lycée du Bronx, les chances de réussir étaient d'ores et déjà très faibles. Il n'avait aucune raison de s'accrocher.
Pendant six jours, il erra dans les rues sans trop s'éloigner de chez lui. Il espérait entendre quelqu'un l'appeler, voir des affiches à son effigie, savoir qu'on le cherchait. Mais rien de tout cela ne se produit. Sa mère était inquiète, il en était sûr. Si elle ne faisait pas grand chose pour lui, c'était parce qu'elle avait peur de son père. Il devait rentrer ou il allait lui faire encore plus de mal. S'il avait été plus fort, il aurait pu se sauver avec elle et commencer à vivre... Trop, il pensait trop. Il devait se changer les idées. Il rentrerait le lendemain. Son ventre lui faisait mal. Il n'avait presque plus d'argent. Ses rêves de fuite étaient tout bonnement irréalisables.
Sous la pluie, il courut jusqu'au seul bar affichant des prix acceptables qu'il connaissait. Le goût des shots était tout simplement horrible, mais l'effet restait le même qu'avec l'alcool de qualité. Il avait besoin de se perdre un peu.
Malheureusement, sa fortune ne lui offrit pas assez de verres pour sentir plus qu'un léger vertige. Il ne savait pas si c'était à cause de ses gènes paternels ou une conséquence de ses fréquentes visites mais quelques verres ne lui suffisaient jamais. Ce pour quoi il venait, c'était la bouteille. Son salut se présenta sous la forme de Julie-Anne, alias Jules. Elle était dans son cours d'anglais du jeudi, le seul auquel il allait encore - mais ça n'avait rien à voir avec elle, il ne voulait simplement pas finir illettré. Des histoires circulaient à son sujet, certains disaient qu'elle était strip-teaseuse ou prostituée, d'autres qu'elle avait avorté plusieurs fois, d'autres encore que son père faisait partie de la mafia. Son image n'était donc pas la plus blanche qui soit. Cependant, ça n'empêcha pas Blackwood de lui sourire avant de baisser les yeux vers son décolleté. Ce n'était même pas volontaire, elle avait un tatouage de serpent qui se terminait on ne sait où dans son T-shirt. La jeune fille n'y fit pas attention, ses yeux scannaient l'endroit et les visages qui l'entouraient. Elle semblait tout aussi perdue que lui et n'avait pas un sou. Elle se faufila aux toilettes quand le barman tourna la tête, et vint s'asseoir à sa table quand elle sortit. Il ne put s'empêcher de remarquer les marques sur ses bras. Il avait les mêmes, laissées par de mauvaises aiguilles achetées sous un pont ou derrière la caserne désaffectée. Il ne pensa même pas à lui prêter sa veste quand le bar ferma. Être serviable n'était pas dans ses habitudes.
Sans se consulter, ils partirent dans la même direction. Le trajet fut silencieux ; ils n'avaient rien à se dire. Leurs vies respectives étaient minables, ils en étaient conscients, mais se lamenter ne servait à rien. Zach avait encore le désir d'oublier, pendant quelques instants au moins. Alors quand Jules le conduisit dans une ruelle sombre entre deux bâtiments et défit sa ceinture, il se laissa faire. Il n'oublia pas, mais c'était mieux que rien.
Là où cette fille représenta son "salut", c'est quand ils s'assirent au bord d'un canal et qu'elle sortit une seringue. Elle ne savait pas ce que c'était mais son cousin la lui avait donnée. Zachariah la voulait, il en avait besoin, peu importe ce qu'elle contenait. Il sentait son sang brûler dans ses veines rien qu'en regardant l'objet. Mais Jules n'était pas une sainte, elle ne la lui donnerait pas. Les yeux bloqués sur la seringue, il attrapa le bras de sa future victime et lui planta ses ongles dans la peau pour la faire lâcher prise. Elle poussa un cri qu'il étouffa en lui lançant son poing dans la mâchoire. Elle se débattit comme une diablesse, se tordant dans tous les sens et essayant de lui donner des coups de pied mais il était plus fort qu'elle. Il lui tordit le bras pour la mettre au sol. Elle voulut parler mais il plaqua sa bouche contre la sienne. Elle ravala ses mots et lui mordit la lèvre inférieure. Le blond n'avait aucune expérience dans les sports de combat, mais il se battait souvent et savait faire mal. Avec son genou, il appuya de toutes ses forces sur la gorge de la malheureuse. Ses mains étant occupées à la maintenir en place, il dût réessayer plusieurs fois jusqu'à ce qu'elle arrête de bouger. Il se releva et la vit se coucher sur le côté et tousser jusqu'à cracher par-terre. Il fit un pas en avant, ce qui fit se tendre tous les muscles de Jules. Elle resta là, étendue, comme un agneau qui attend d'entrer dans l’abattoir. Elle se savait fichue. D'un coup de pied dans son dos, Blackwood la fit dégringoler la pente bétonnée qui menait au canal et tomber dans l'eau. Encore aujourd'hui, il ne sais pas si elle s'en est sortie vivante.
Tremblant de rage et d'impatience, il attrapa sa délivrance et planta l'aiguille dans son avant-bras. Quand le produit atteint son organisme, il ne ressentit rien. Il attendit cinq, dix secondes - rien. La seringue vide finit sous son pied, éclatée en morceaux sous ses chaussures trop grandes. Zachariah s'énerva contre tout ce qu'il voyait, frappa me moindre objet à proximité et maudit le ciel qui s'acharnait contre lui. Puis ses muscles se contractèrent. La douleur commença simultanément à chaque extrémité de ses doigts et de ses orteils pour continuer sa progression vers le centre de son corps. Ses jambes ne le portèrent plus. Incapable du plus basique des réflexes, il tomba lamentablement, son nez et son front en avant. L'herbe sembla bouger plus vite, comme si le vent s'était soudainement levé - ou bien était-ce sa respiration qui s'accélérait ? Depuis quand soufflait-il si fort ? Ses réflexions furent coupées par un rappel de la douleur quand elle attaqua ses organes. Son estomac déjà peu rempli se vida entièrement et ses paupières clignèrent contre sa volonté à une fréquence trop rapide, presque effrayante. L'alcool, le manque de nourriture, le gèle et ce qu'il venait de s'injecter ne faisaient pas un bon mélange. Les formes devinrent floues autour de lui, les bruits de la ville se turent. Le froid s'engouffra là où son T-shirt ne cachait plus ses côtes. Puis même le froid disparut. Il crut voir une araignée grimper sur son bras mais il ne sentait rien sur se peau. En fait, il ne sentait plus rien du tout nul part. Il ne savait même pas s'il pleuvait encore. Bientôt, il n'eut plus la force de garder les yeux ouverts. Il ne s'était jamais senti aussi faible, même face à son père.
L'odeur était horrible. Zach s'était déjà réveillé dans des endroits peu fréquentables qui sentaient le vomit et la moisissure mais là, c'était bien pire. Les effluves de toute la planète semblaient l'agresser. Il pouvait affirmer rien qu'à l'odeur qu'il y avait du sang près de lui mais qu'aucun cadavre ne flottait dans l'eau. Les ordures d'un restaurant étaient en train de pourrir. Encore du sang. Un chien trempé avait dû passer... Non, c'était lui. Il sentait le chien. Un parfum âcre flottait dans l'air, sans source particulière : la maladie. Il y avait des chances pour qu'il en soit coupable, la nuit avait été agitée et ses poumons lui faisaient affreusement mal. Enfin, tout est relatif. Il n'avait pas aussi mal qu'après l'injection. Ensuite, il pouvait deviner que pas mal de feuilles mortes séchaient sur le sol derrière lui. Un animal s'était soulagé à moins de trois mètres de lui. Le petrichore était une île merveilleuse au milieu de ses senteurs nauséabondes. Vive l'odeur de la terre après la pluie. En tout cas, en étant aussi conscient de ce qui l'entourait, Zach n'avait pas eu le temps de penser à autre chose - à sa famille, par exemple. Il avait réussi à oublier. En devenant conscient de cela, il se mit à sourire. Il avait tué une jeune fille moins de douze heures plus tôt, mais qu'est-ce qu'il se sentait bien. C'était libérateur, jouissif. Il était capable de tout maintenant, il le savait au fond de lui. Quelque chose de bizarre mais de puissant se déplaçait maintenant dans ses veines. Porté par son enthousiasme, il courut tête baissée vers l'obstacle le plus proche qui s'avéra être l'un des piliers en fer du pont piéton. Et non, il ne passa pas son après midi à l'hôpital. Il n'eut même pas une seule égratignure. Le pont, par contre, était bien amoché. Bon, c'était une vieille construction rongée par la rouille mais jamais il n'aurait pensé pourvoir... Faire ça ! Non, sérieusement, que venait-il de faire exactement ? Est-ce qu'on l'avait mis en contact avec des rayons gama récemment ?
Cette nouvelle force le faisait voir différemment. Et sentir différemment, apparemment. Même quand il marchait, il ressentait tout à la puissance dix. Il en vint à penser qu'il subissait le pire retour d'acide de sa vie. Son corps était habité par quelque chose d'autre, quelque chose de géant, de grandiose ! Tout était accentué, les couleurs lui brûlaient les yeux, les ombres vagues prenaient des formes précises et détaillées, son énergie voyageait dans tout son corps de manière sensible et sa joie avait l'air indestructible. Pour une personne normale, ça aurait peut-être été amusant, voire gratifiant mais sans plus. Pour lui dont la vie était si fade et monotone qu'il rêvait de mourir, c'était le paradis. Qui avait rangé le paradis dans une seringue ? C'était idiot, mais il était content qu'on l'ait fait. Pour la première fois depuis une éternité, il était tout simplement heureux.
Bien sûr, ça n'allait pas durer. Il se l'était promis, ce matin, c'était le jour de son retour à la maison. Zach passa par la fenêtre de sa chambre dont les volets étaient fermés mais pas les vitres - ainsi il pouvait rentrer et sortir la nuit sans qu'on le sache. Il espérait trouver sa mère avant son père et ainsi profiter encore un peu du bonheur qui pulsait dans ses veines.
Mais lorsque sa mère le vit, elle cria pour prévenir son père. Zach ne comprit pas pourquoi elle avait réagit ainsi, ils avaient si peu d'occasions de se parler ! Peut-être qu'elle l'avait cru mort... Ça aurait expliqué l’absence d'avis de recherche. Oui, c'était sûrement ça. La pauvre, elle avait dû se faire un sang d'encre. Et si elle avait pleuré ? Non, il ne se le pardonnerait pas. Il n'était pas mauvais au point de vouloir faire du mal à la seule personne qu'il aimait sur cette planète. Il espérait vraiment que tout c'était bien passé pendant cette semaine de séparation. Au moins, elle était en vie. Qu'aurait-il fait s'il n'avait trouvé que son cadavre en rentrant ? Il aurait fuit. Ou tué son père. Maintenant qu'il avait cette force, la seconde option n'était plus si impossible.
Le visage de son père fit reculer Zachariah jusqu'au mur le plus proche. Il s'était attendu à de la fureur, du dédain, une neutralité totale voire à un sourire sadique. Mais comment aurait-il pu se préparer à des yeux pleins de yeux pleins de larmes et une figure faite de pur soulagement ? Son père, ce tyran, ce monstre autoritaire, s'était
inquiété pour lui ?
Une fois contre le mur, Zach ne pouvait plus rien faire. Il avait plus peur de ce regard humain que des yeux froids du bourreau. Il cachait quelque chose. Et puis... Pourquoi ? Pourquoi cet idiot serait subitement devenu quelqu'un de bien ? Le bourreau s'avança.
« Bon retour à la maison. »Et sur ces mots aussi effrayants que dénoués de sens, il le serra dans ses bras. L'odeur de l'alcool qui restait collée à ses vêtements fit tousser le fils. L'odorat sur-développé n'était décidément pas un super cadeau. Quand il ouvrit la bouche de nouveau, la vibration de ses cordes vocales parvint à l'oreille de Zachariah avant la voix.
« J'espère que tu comprends que ce que tu as fait est mal et que je dois te punir. »NON ! C'en était fini de son moment de paix. Son père le lâcha et recula son bras pour asséner le premier coup. Aussi étrange que cela puisse paraître, Zach l'esquiva. Jamais un coup de poing ou une baffe n'avait été évitée dans cette maison. C'était une première. Malheureusement, cela énerva le tyran dont le visage avait repris ses couleurs habituelles. Trop déstabilisé par ce qu'il venait de faire, le lycéen se prit les trois prochains coups de plein fouet.
Les pieds suivirent. Ceci aussi était nouveau. Zach fut à terre rapidement, n'opposant aucune résistance. Il avait l'habitude de se rouler en boule et d'attendre que ça passe. Ce jour-là, cependant, les choses étaient différentes. Le blond resta immobile, encaissant la colère de son géniteur, jusqu'à ce que l'énergie présente dans son corps se fasse remarquer. Ça devait être une sorte de réaction chimique à la douleur. En tout cas, il ne put plus rester à terre, son corps lui hurlait de se lever et la voix devenait de plus en plus forte. Quand il arrêta de combattre ladite voix, ses muscles firent le travail seuls. En quelques secondes seulement, il renversa la balance. Ses blessures semblaient n'être plus qu'un lointain souvenir, il n'avait mal nul part. Maintenant, c'était lui qu'on suppliait. Au sol, le visage ensanglanté, son père lui demanda pardon un millier de fois. L'odeur du sang emplissait la pièce, accompagnée du goût salé des larmes de douleur. Zach devait s'arrêter, il le savait. Mais la voix continuait sa tirade, le poussant à frapper, à écraser, à tordre, à blesser,
à tuer. Et les cris de sa mère ne faisaient qu'empirer les choses.
La transformation fut incroyablement douloureuse. Ses os craquèrent, ses tendons lâchèrent pour se reformer et s'arracher encore. Sa colonne vertébrale semblait vouloir percer sa peau tant elle poussait vers le haut. Sa vision aussi changea, il vit encore plus clair, encore plus de couleurs, encore plus de détails. Ne sachant pas encore contrôler ce nouveau corps, il se mordit l'épaule en voulant se retourner. Du sang jaillit. Il n'avait pas la même odeur que celui de son père. Il poussa un cri mais ce qu'il entendit n'était pas sa voix. Tout ce que ses cordes vocales pouvaient créer était un long râle de douleur - rien d'humain. Durant le processus, il écrasa le bourreau sous ses pattes difformes. Ses vêtements ne tinrent pas le coup longtemps. Il était devenu une bête. Sa conscience s'éteignit lentement, laissant toute la place aux instincts primaux de son loup. Il avait trouvé un nouveau moyen de s'évader, d'oublier.
Il se réveilla hors de sa maison, sur un parking. Des lambeaux de vêtements et de chair étaient éparpillés partout autour de lui. Quand il baissa les yeux vers ses jambes, il ne vit qu'une marre de sang. Il cligna des yeux plusieurs fois pour réussir à distinguer le rouge sur des jambes du rouge par-terre. Il avait encore tous ses membres - ce qui n'était pas le cas de son père. Le garçon ne prit pas la peine de bouger. Il se rendormit ici, seul, enfin délivré, en paix. Jamais il ne s'était senti aussi fort.
Ce matin-là, il avait expérimenté la violence lycanthrope pour la première fois. Il l'avait volontairement laissé prendre le contrôle et le plonger dans l'inconscience. Il était donc encore persuadé qu'il contrôlait parfaitement son alter-ego. C'était une terrible erreur. Toute sa vie il se rappellera de la sensation de sa peau sous ses griffes.
Léger et confiant, Zachariah rentra chez lui pour retrouver sa mère. L'idée qu'il ait pu la tuer aussi ne traversa même pas son esprit. Il l'aimait trop pour lui faire du mal et elle l'aimait trop pour lui en vouloir concernant sa fugue. Son pire cauchemar n'était plus qu'un cadavre, tout allait rentrer dans l'ordre. Peut-être qu'ils partiraient sur la côte Ouest. Il avait envie de quitter New-York, de tout recommencer. Peut-être même qu'il tomberait sur une bonne école et obtiendrait son diplôme. Ce serait difficile mais ensemble, ils y arriveraient. Sa mère était l'unique personne dont l'opinion comptait et elle le soutiendrait toujours. S'il n'avait jamais tenté de se suicider, c'était pour elle. Quand il dut passer la porte, le blonde se rendit compte... Ben qu'il n'y en avait pas. Il l'avait sûrement défoncée en sortant. Au moins, il savait qu'il n'était pas monté à l'étage en temps que loup-garou - parce que c'était comme ça qu'il devait s'appeler, non ? - parce que les escaliers étaient en parfait état. C'est d'ailleurs en haut des marches qu'il trouva sa mère
armée d'un fusil de chasse.
« Maman ? »Aucun mouvement. Elle était comme bloquée là-haut, une figure figée sur une toile, une sculpture qui finirait en poussière. Il ne l'entendait pas respirer. Elle devait être en état de choc ; et c'était sa faute.
« Maman... »Sa voix se brisa. Il n'aimait pas la voir ainsi. Ils étaient libres, elle devait bouger, danser, rire ! Ce jour était le plus beau de toute leur vie ! Il ravala sa salive, tentant sans succès de chasser le chat qu'il avait dans la gorge. Tant pis, il ne ferait pas de grand discours.Lentement, il fit quelques pas vers les escaliers et monta les deux premières marches. La seconde grinça ce qui fit enfin se mouvoir la mère. Elle secoua la tête. Oui, elle reprenait ses esprits ! Il fallait qu'il lui enlève ce fusil des mains pour éviter qu'elle se blesse mais à part ça, tout allait bien. Elle l'avait sans doute pris pour se protéger au cas où son côté loup s'attaquerait à elle, ce qui était compréhensible. Ça avait été une dure soirée pour tout le monde et lui-même ne comprenait pas exactement ce qu'il s'était passé ni ce qu'il était devenu. Tout allait très bien se passer. Absolument tout.
Sauf que le destin en avait décidé autrement en guidant le regard de la mère vers son fils. Les yeux étaient froids mais différentes de ceux de son père. Quand il le frappait, Blackwood avait bu. Il était maladroit et se laissait emporter. Ses yeux, bien que tout sauf chaleureux, trahissaient sa haine, son besoin de faire souffrir, de se défouler. Chez sa femme, par contre, on ne voyait plus rien. Zach ne sut pas quoi en penser. Il posa un pied sur la troisième marche et le fusil se pointa sur lui. Les mains en l'air, il tenta de paraître le moins dangereux possible. Comme elle ne bougeait pas, il sourit. Il entendit le mécanisme s'actionner avant que la balle ne sorte du canon. Il roula sur le côté pour ne pas se faire toucher mais le tir ne l'aurait de toute façon qu'effleuré. Peut-être... Peut-être qu'elle venait de se rendre compte de qui il était !
« Maman, je suis rentr- »Un autre tir. Zach ne bougea pas à temps et la balle se logea dans son épaule. C'est avec un grand étonnement qu'il vit la blessure se refermer sous ses yeux. Les armes à feu ne lui faisaient presque rien. Il était immortel ?
Un troisième tir fut accompagné du bruit de pantoufles descendant une marche. Celui-là était dirigé vers son abdomen. La douleur physique ne dura pas, mais Zach n'en fut pas moins blessé pour autant. Voir sa mère aussi fermée lui tirer dessus l'avait vidé de toute énergie. Pourquoi ? Pourquoi faisait-elle cela ? Quelques minutes plus tôt, il se sentait si bien et là, il avait l'impression de se noyer. Il n'avait aucun contrôle sur la situation, sur sa vie. Le cerf-volant lui échappait des mains et il ne pouvait que le regarder s'éloigner, impuissant, les yeux humides. Abandonner n'était pas la solution ! Il pouvait encore rattraper le coup. Elle était juste déboussolée, ça arrive à tout le monde. Il tendit sa main vers elle.
« Ecoute, s'il te plaît. C'est moi, Zachariah, ton fils. Maman, s'il te plaît, parle-moi. »La seule réponse qu'il reçut fut le bruit de trois tirs tandis qu'elle descendait ce qui restait de marches entre eux. Malgré la vitesse et la force accumulée des balles le visant, Zach ne bougea pas. Il encaissa jusqu'à ce que sa génitrice ne soit plus qu'à un mètre de lui. Il scruta ses yeux mais n'y vit rien d'autre que des pupilles vides et du maquillage datant de plusieurs jours qui commençait à s'effacer. Perdant espoir, il recula jusqu'à la cuisine. Elle le suivit. Le fusil était à court de munitions. S'il devait la raisonner, c'était maintenant.
« Regarde-moi, je ne suis pas une menace. Je ne vais rien- POSE ÇA ! »Il regarda avec horreur la main vieillissante qu'il avait tant admiré fouiller dans un tiroir et en sortir un couteau de cuisine. Mais même en haussant la voix, sa mère ne semblait pas l'entendre. Il leva de nouveau les mains en l'air, imaginant que les gestes basiques seraient plus simples à comprendre pour elle dans son état. Quand il fit un pas en avant, elle se jeta sur lui.
La douleur était infime. Il suffisait de repousser légèrement son bras pour que le couteau ne le frappe pas au visage. Là où il plantait, le reste de ses vêtements était abîmé mais ses blessures se refermaient aussitôt. Pourtant, elle était persévérante. La vitesse de ses attaques augmentait. Le blond n'avait jamais vu une femme au foyer se battre ainsi. Elle devait utiliser ce que certains appellent l'énergie du désespoir ou potentiel en dormance. A ce rythme là, elle allait déchiqueter entièrement son T-shirt. Lasse de repousser des attaques qui pourraient peut-être ne jamais s'arrêter, il arracha l'arme à sa porteuse et la jeta par la fenêtre, brisant la vitre au passage. Ce fut une terrible chose à faire.
Mrs. Blackwood se leva et courut pieds nus sur les morceaux de verre pour briser avec son poing la vitrine de l'argenterie. Elle attrapa des couverts au hasard et les lança vers son fils qui, pendant ce temps, tentait de venir à elle pour examiner son état. Ses mains et ses pieds étaient couverts de sang ! Il n'eut pas le temps d'arriver assez près pour la toucher, une fourchette en argent lui égratigna le bras. Il venait juste de s'habituer à ne plus sentir qu'un léger picotement quand un objet dangereux le touchait alors cette minuscule blessure lui arracha un cris. Les contes étaient vrais, l'argent était une arme efficace contre les loups-garous.
« Arrête ça et laisse-moi t'aider ! »Sans surprise, elle ne fut pas réceptive et lui jeta un couteau en argent à la tête. Heureusement qu'elle n'avais jamais fait de lancer de couteau ; il survivait pour le moment car la plupart de ses projectiles finissaient sur le sol sans l'avoir touché. Quand il n'y eut plus que deux couteaux dans la vitrine, sa mère les prit et se jeta sur lui, passant à nouveau au milieu des bouts de verre. Sa main gauche fut interceptée mais elle réussit à planter quelques centimètres de la lame du second couteau entre deux côtes du blond.
« MAMAN ! »Il l'avait crié, tentant une énième fois de l'atteindre. La lame s'enfonça un peu plus. Zach ne réfléchissait plus assez clairement pour l'en empêcher. Il ne voyait plus rien, mais ce n'était pas à cause de la douleur. Il pleurait, ses larmes formant une barrière entre sa conscience et le visage impassible de celle qui fut autrefois sa mère. Il acceptait lentement l'idée qu'elle était perdue, l'appelant de temps en temps, sa voix devenant de plus en plus faible. Il bougeait se qui faisait dévier la lame. S'il survivait, il aurait une énorme cicatrice. Mais il s'en fichait. Tout ce qu'il voulait, c'était retrouver sa mère. Elle n'avait jamais été très présente, mais elle l'aimait, c'était obligatoire. Il ne pouvait pas se permettre de croire le contraire. Et puis le loup se fit sentir. Au fond de lui, il le sentait pousser pour sortir. Il avait l'impression qu'un marteau cognait contre une enclume à l'intérieur de sa tête. Sa litanie ne s'arrêta pas pour autant.
« Maman... Maman, aide-moi. Maman, réveille-toi. Tout va bien se passer. Je t'en prie, arrête. Maman... On va partir loin. Tu voulais voir le grand canyon maman, tu t'en souviens ? Maman, j'ai mal. Maman... Maman... Maman... »« Tu as tué l'homme que j'aimais, monstre ! »Ce furent les dernières paroles que prononça sa mère avant qu'il n'abandonne sa lutte avec lui-même. Il n'était pas assez fort pour le contenir. Le loup surgit. A nouveau, il dut souffrir alors que ses os changeaient de taille, ses articulations se tordaient dans tous les sens et son corps entier semblait brûler. Il ne se souvint pas de la suite, mais sa mère était morte. Il l'avait retrouvée en morceaux à son réveil. L'entaille au couteau en argent était encore là. Il devrait se faire recoudre. Avant de sortir, il entoura la maison d’essence et vida les dernières bouteilles de son père avant de craquer une allumette. Il appela un "ami" connu pour plusieurs actes de vandalisme et de pyromanie et lui tissa un beau mensonge pour qu'il soit dans le coin quand on remarquerait que l'immeuble était en feu. Tant pis pour les autres locataires, il n'y en avait pas tellement de toute façon - c'est pourquoi ils avaient pu vivre sur deux étages et s'aménager une petite "maison".
Il retourne au canal. Les traces de son passage sont encore présentes, comme s'il n'avait pas quitté cet endroit, tué son père puis sa mère. Il inspecta le contenu de son sac à dos en écoutant la radio sur son téléphone. Il avait prit toute la nourriture transportable, des vêtements, un couteau, sa brosse à dent, un briquet... Des choses utiles uniquement. Et puis au fond il y avait une photo de sa mère enceinte, souriante.
Just know that these things
will never change for us at all.
If I lay here
If I just lay here
Would you lie with me
and just forget the world ?
Il arracha ses écouteurs de ses oreilles et fixa la photo. Cette chanson n'était qu'un ramassis de conneries mises ensemble pour faire gagner du fric à des stars qui en avaient déjà trop. Les gens changeaient, et plus facilement qu'on ne le pense. Même si parfois il se demandera s'il ne s'aveuglait pas volontairement au sujet de sa mère, elle avait tout de même essayé de le tuer alors qu'elle n'avait jamais fait preuve de violence auparavant.
Il déchira la photo et la jeta dans l'eau. Quand plus tard il passa à côté d'un sans-abris dans la rue, il lui brisa la nuque. Comme ça, sans raison. Juste parce qu'il le pouvait.
Avec les années, Zachariah apprit à contrôler parfaitement ses transformation et, même s'il préfère se laisser tomber dans l'inconscience, il réussit à rester conscient pendant toute une nuit de pleine lune. Puisqu'il ne s'attachait ni se sauvait, chaque transformation lui permit de gagner en force et vitesse. Il survécut d'abord grâce à l'argent que ses victimes avaient sur elle, puis grâce au trafic de drogue où il se fit un nom sans problème. Trouver d'autres loups fut une tâche affreusement longue, monotone et fatigante mais il n'était pas du genre à abandonner et alla jusqu'au bout. Quand il tua deux lycans connus comme étant des mercenaires hors normes - il l'avait fait parce qu'il les trouvait agaçants mais tout le monde crut que c'était dans une quête de pouvoir - il gagna le respect de nombreux hybrides. Et ainsi, petit à petit, il est devenu alpha de quelques loups, puis l'Alpha Blackwood, prince du Bronx. Il a changé son deuxième prénom qui était celui de son père pour Jules en mémoire de sa transformation et surtout pour détruire son dernier lien avec celui qu'il voit toujours comme "le bourreau". Voleuse, dealer, tueur à gage, marchand d'armes... Il touche à tout sauf à la prostitution, pour Jules. C'était peut-être la seule personne qu'il ait jamais regretté d'avoir tué. Elle aurait pu lui être utile - en lui présentant son cousin, par exemple.
La meute a encore des rivaux que Zachariah souhaite éradiquer ou du moins affaiblir. Les autres meutes questionnent ses méthodes, les vampires sont leurs ennemis naturels et les Maï ont décidé de se rassembler sous la charge d'Elizabeth Simmons, ce qui n'est absolument pas une bonne nouvelle, les Fées et leurs secrets font de plus en plus parler d'eux et les chasseurs se perfectionnent. Zach a encore du chemin à faire pour devenir la puissance numéro un de New-York mais il est prêt à tout pour y arriver.